top of page
VALEUR ÉCOLOGIQUE DES FRICHES

​

(Article tiré d’un mémoire sur « La conservation des friches sur le territoire de la Ville de Laval » par la Société d’histoire naturelle de la Vallée du Saint-Laurent, 2017)


3. Pourquoi protéger les friches? *
 

3.1 Qu’est-ce qu’une friche ?


Les friches sont des milieux ouverts terrestres dominés par une végétation de début de succession. Une friche peut être herbacée, arbustive ou arborescente selon si la friche est couverte de plus de 50 % de l’un ou de l’autre des trois types de plantes (CMM, 2015). Dans le cas qui nous concerne, ce sont les friches herbacées et arbustives qui ont davantage de valeur. À l’état naturel, ces milieux se définissent comme suit : friches, champs, prairies, bordures de boisés, clairières, alvars, rivages (Desroches et Rodrigue, 2004 ; Pouliot, 2008). En milieu urbain et périurbain, ils peuvent se décliner comme suit : terrains vagues, jardins, parcs, champs agricoles abandonnés, emprises de chemins de fer et hydroélectriques, bordures de pistes cyclables et de routes (Desroches et Rodrigue, 2004; Pouliot, 2008; CMM, 2015). Pour certaines espèces, comme la couleuvre brune, la présence d’abris variés au sol, tels que des amoncellements de pierres, est essentielle (Desroches et Rodrigue, 2004).

 

3.2 Le déclin des friches


Les friches et les espèces qui y sont associées subissent un important déclin à travers l’Amérique du Nord (Vickery et al., 1995; Litvaitis et al., 1999; Brennan et Kuvlesky, 2005; King et Schlossberg, 2014). Dans l’est de l’Amérique du Nord, les milieux ouverts arbustifs et herbacés font en effet partie des habitats dont le rythme de destruction ou de conversion est le plus rapide (Litvaitis, 1993; Litvaitis et al., 1999; Motzkin et Foster, 2002). Des populations d’espèces peuvent disparaître graduellement en raison de cette tendance et parfois même à cause de la succession végétale. À titre d’exemple, la succession végétale a mené à un reboisement complet d’une zone étudiée au Kansas sur près de 60 ans (Fitch, 2006). La couleuvre brune et la couleuvre tachetée (Lampropeltis triangulum) qui affectionnent les milieux ouverts ont par la suite complètement disparu de ce site. Dans la région métropolitaine, il a été évalué que près de 26 % des 31 habitats de la couleuvre brune étudiés, soit des friches, étaient entièrement ou partiellement détruits suite à des activités humaines (Ouellette et Rodrigue, 2006). De plus, aucune protection officielle n’était accordée à plus de 77 % de ces sites. Plus récemment, 24 friches étudiées sur le territoire de la ville de Laval ont perdu en moyenne près de 21 % de leur superficie entre 2004 et 2013 en raison surtout du développement résidentiel et de la succession végétale (Bourgeois, 2017a).
 

3.3 L’importance des friches pour la biodiversité
 

La valeur de conservation des friches n’est pas reconnue au même titre que celle des forêts matures et des milieux humides et aquatiques. Elles constituent pourtant une proportion non négligeable des milieux naturels présents dans la région métropolitaine. Il est reconnu que protéger un pourcentage élevé de milieux forestiers aide à augmenter la biodiversité sur un territoire, et beaucoup d’efforts sont investis en ce sens (Duchesne et al., 1999; CMM, 2012). Cependant, les espèces des milieux ouverts se trouvent dans une situation plus fragile, en termes de risque d’extinction locale, que les espèces forestières (Motzkin et Foster, 2002). Les milieux forestiers au couvert dense ne sont pas ou très peu utilisés par plusieurs espèces qui dépendent des friches, dont la couleuvre brune (Fitch, 2006; Pisani, 2009). Le besoin de protéger les friches est ainsi plus que pertinent. Un paysage composé à la fois de milieux forestiers et de milieux ouverts présente une hétérogénéité qui est bénéfique pour une
plus grande diversité de communautés floristiques et fauniques (Kallimanis et al., 2008; Steinmann et al., 2011; Wilson et al., 2014; Guerra et Aráoz, 2015). Il a d’ailleurs été démontré que de protéger 18 à 20 % des milieux naturels d’un territoire en habitat de début de succession végétale présentait un plus grand nombre d’espèces que dans des paysages composés uniquement de forêts (Welsh et Healy, 1993).


Enfin, les friches fournissent plusieurs services écologiques en agissant notamment comme zones tampon et corridors de dispersion pour la faune (Sutcliffe et al., 1996; Lidicker, 1999), en contribuant à l’amélioration la qualité de l’air et au maintien de la nappe phréatique (Sala et Paruelo, 1997).


3.4 Des espèces rares qui en dépendent


Environ 50 % des oiseaux et 60 % des mammifères ont besoin d’un mélange de friches herbacées et arbustives et de boisés pour vivre, et les reptiles et les amphibiens utilisent un éventail d’habitats de succession d’âges variés (Scanlon, 1992). De plus, près de 60 % des espèces d’oiseaux champêtres sont en déclin au Québec en raison de la perte et de la dégradation de leur habitat comparativement à environ 25 % des espèces d’oiseaux forestiers (Lamoureux et Dion, 2014). Plusieurs espèces en situation précaire et présentes sur le territoire lavallois dépendent des friches pour vivre. La majorité d’entre elles ont subi d’importants déclins au cours des dernières années suite à la disparition des milieux ouverts (Hunter et al., 2001; Kjoss et Litvaitis, 2001; Sauer et Link, 2011; Environnement Canada, 2013; Lamoureux et Dion, 2014; Flockhart et al., 2015; Gill et al., 2016). On peut notamment citer le/la:

 

  • Monarque (Danaus plexippus)

  • Couleuvre brune

  • Couleuvre tachetée

  • Paruline à ailes dorées (Vermivora chrysoptera)

  • Goglu des prés (Dolichonyx oryzivorus)

  • Hirondelle rustique (Hirundo rustica)

  • Sturnelle des prés (Sturnella magna)

  • Hibou des marais (Asio flammeus

 

Plus spécifiquement, la population de goglus des prés a chuté de 83 % entre 1970 et 2007, tandis que les populations de l’hirondelle rustique et de la sturnelle des prés ont observé un déclin de 60 % de 1970 à 2008 (COSEPAC, 2010; COSEPAC, 2011a, b). De plus, la population de monarques a baissé de 84 % en Amérique du Nord (Flockhart et al., 2015). Les friches de grande superficie, qui se raréfient à Laval et dans le reste du Grand Montréal, sont par ailleurs primordiales à la survie à long terme des populations d’oiseaux et de serpents (Kjoss et Litvaitis, 2001; Tefft, 2006; Environnement Canada, 2013; COSEPAC, 2014).

​

La couleuvre brune, une espèce emblématique des friches


Au Québec, la couleuvre brune ne se trouve que dans la grande région de Montréal (AARQ, 2017) et est inscrite sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables (Beaulieu, 1992). On constate le déclin de ses populations et la disparition de ses habitats (Ernst, 2003; Fitch, 2006; Ouellette et Rodrigue, 2006; Bourgeois, 2017a).

 

Les terrains convoités par le développement, dit terrains vagues ou vacants, représentent souvent des friches propices pour la couleuvre brune (Cook, 2008). Les habitats de cette espèce disparaissent donc rapidement ou deviennent de plus en plus petits et isolés. La perturbation ou la destruction des sites d’hibernation peut aussi provoquer l’effondrement d’une population. Dans les aires protégées où la couleuvre brune est présente, la succession végétale, la tonte des friches, le reboisement et les espèces invasives peuvent dégrader voire faire disparaître son habitat s’il n’est pas gérer adéquatement (Bider et Rodrigue, 1996; Hobbs et Huenneke, 1996; Kjoss et Litvaitis, 2001; Fitch, 2006; Dupuy, 2011). Les populations connues de l’espèce se trouvent d’ailleurs en majorité à l’extérieur ou en périphérie des aires protégées (Ouellette et Rodrigue, 2006; Rouleau, 2014; AARQ, 2017). La priorité pour assurer le maintien de la couleuvre brune au Québec est donc de protéger ses habitats en misant sur les friches de grande superficie et les habitats les connectant entre elles (McKinney, 2002; Ouellette et Rodrigue, 2006).

 

La couleuvre brune joue un rôle écologique notable. Elle est une grande consommatrice de vers, de limaces et d’escargots qui peuvent être considérés comme des pestes dans les jardins et les champs agricoles (Laporta-Ferreira et Salomao, 2004). Elle sert aussi de proie à plusieurs prédateurs tels que le renard roux, les belettes et certains oiseaux de proie. En raison de son aire de répartition unique et de son association avec les milieux naturels urbains, elle constitue un des emblèmes singuliers de la région métropolitaine.
 

* Tiré du mémoire de la Société d’histoire naturelle de la Vallée du Saint-Laurent à la Ville de Laval « La conservation des friches sur le territoire de la Ville de Laval » pp. 2-5

bottom of page